L’expérience du terrain
Lors des accompagnements que je peux réaliser en tant que Coach Agile, j’entends souvent la phrase suivante dans les entreprises : « Pas besoin de Scrum Master ! L’Agilité, on connaît déjà ! ». Certes, il y a des organisations où cette affirmation est vraie, de même qu’il y en a beaucoup d’autres où c’est partiellement vrai, voire complètement faux ! Pour illustrer cela, un exemple sorti tout droit d’une expérience vécue sur le terrain.
50 sprints, ça se fête
Il y a quelques temps, un client me demande d’animer une rétrospective à l’occasion du sprint #50 de leur équipe produit. Après discussion, il ressort que la rétrospective doit être un peu originale et « fun » pour marquer le coup. « 50ème sprint, ce n’est pas rien quand même ! » Je conçois un atelier sous la forme d’un jeu de plateau.
Rien de tel qu’un jeu pour passer un bon moment, d’autant que l’équipe est constituée de joueurs.
Avant le jour J, je présente l’atelier au sponsor, fais un peu de « teasing » pour préparer le terrain. Tout roule !
Arrive le moment de l’animer. Avant de commencer à jouer, je demande si une personne peut donner le statut des dernières actions d’amélioration continue. Un silence s’installe et au bout d’une minute il n’y a toujours pas de réponse. Les membres de l’équipe se regardent un peu comme s’ils ne comprenaient pas ma demande. Je les remets dans le contexte en disant qu’à la fin du sprint précédent, donc à la 49ème rétrospective, ils étaient censés pendre des actions d’amélioration à réaliser au cours du sprint 50. Je leur demande alors qui étaient les porteurs de ces actions ?
Un membre de l’équipe finit par prendre la parole pour dire qu’ils n’ont pas pris d’action la dernière fois. Je demande alors s’ils sont capables de donner les actions prises à la 48ème rétro ? Et puis celles du sprint 47 ? etc… Là, la personne finit par lâcher qu’ils ne prennent jamais d’actions d’amélioration aux rétrospectives.
Je les questionne alors sur l’utilité de la rétrospective ? Se parler, échanger, dire ce qui a été positif, ce qui a été négatif… J’acquiesce et souligne que la conversation repart sur de meilleurs rails. Puis je demande ce qu’ils font de leurs échanges, comment ils les convertissent en résultat ? Comme j’insiste, ils finissent par dire qu’ils ne font rien d’autre que cela, échanger en rétrospective sans aucune action derrière.
Pour utiliser la situation vécue comme terreau d’apprentissage, je les invite à prendre un peu de recul avec moi : Depuis combien de temps leur équipe existe ? 50 sprints… donc une existence d’un peu plus de 2 ans et 10 mois avec une durée de sprint de 3 semaines.
Je les titille un peu en faisant le constat que pendant presque 3 ans, ils ont fait des rétrospectives pour discuter, et échanger entre eux… sans vraiment réaliser des actions d’amélioration après celles-ci. Je leur demande alors de suivre mon raisonnement car je prends une grande marge en faisant l’hypothèse suivante : la moitié du temps vous avez réellement travaillé à votre amélioration continue.
Donc 25 sprints avec des rétrospectives productives et 25 sprints avec des rétros sans travailler votre amélioration continue. Le calcul de la durée de ces rétros donne : 25 sprints multiplié par 1h30 de rétrospective, soit 37,5 heures. En multipliant par le nombre de personnes dans l’équipe qui est 10, ça fait 375 heures cumulées de rétrospective pour votre équipe. En divisant par 8h pour ramener à une journée de travail, ça fait environ 47 jours cumulés. Donc, en suivant cette hypothèse, depuis qu’elle existe, votre équipe a passé 47 jours cumulés en rétrospectives… qui n’ont pas été productives !
Je conclus par le constat suivant : en fait, le temps passé par votre équipe en rétrospectives non productives aurait pu être utilisé en prenant un Scrum Master dans votre équipe. Celui-ci, en quelques minutes, aurait pu constater que ces rétros ne remplissaient pas leurs objectifs et que votre équipe ne tire pas de leçons de son vécu pour s’adapter et essayer d’améliorer son fonctionnement… ce qui est une caractéristique intrinsèque d’un bon état d’esprit Agile. Je vous laisse imaginer tout ce que le Scrum Master aurait pu apporter par son coaching à votre équipe pendant ces 47 jours ! Ceci d’autant plus que l’hypothèse de calcul de départ était assez large : la moitié du temps vous avez réellement travaillé à votre amélioration continue !
De l’utilité d’un Scrum Master
Bien que parlante, l’expérience racontée plus haut n’est qu’anecdotique, et même si je l’ai évoquée au travers du gain de productivité, il ne faut pas s’arrêter là. En effet, je vous invite à faire l’analogie avec le domaine sportif, et notamment celui du sport collectif. Est-ce que vous envisageriez qu’une équipe de sport collectif puisse jouer les premiers rôles sans aucun coach ? Le rôle du Scrum Master est semblable à ce coach, dont le but est de faire en sorte que les pratiques (les gestes sportifs) des joueurs se développent. Ce rôle est là également pour améliorer leur efficacité collective (tactique, cohésion et esprit d’équipe). C’est pourquoi le Scrum Master essaiera de faciliter cet apprentissage collectif au travers d’un entraînement de tous les jours, comme un coach sportif pourrait le faire. Il ne s’agira pas uniquement de mettre en œuvre des pratiques Agile en place, comme le Daily Stand-up Meeting, l’utilisation d’un outil comme Jira, etc… Il s’agira surtout de faire en sorte que l’état d’esprit évolue en se focalisant sur la valeur délivrée aux clients, tout en s’adaptant aux aléas et en se remettant en question pour être encore plus performant collectivement. Il est vrai que certaines équipes ont une belle maturité Agile et sont capables de se passer d’un Scrum Master. Il est souvent vrai aussi, qu’avant cela, elles ont été accompagnées pendant un certain temps par un Scrum Master qui via son coaching a facilité l’apprentissage et le développement de l’état d’esprit Agile au sein de l’équipe. Il est vrai également que l’accompagnement d’un Scrum Master ne devrait pas se concevoir indéfiniment mais plutôt comme fini dans le temps. D’ailleurs, je commence toujours mes accompagnements en disant ceci : « Si je fais bien mon travail, les équipes, l’organisation n’auront plus besoin de moi car ils auront acquis assez de maturité Agile, assez d’état d’esprit Agile pour continuer à évoluer sans mon aide ».
Un Scrum Master est un professionnel de l’accompagnement Agile des équipes. Il est formé pour cela et acquière de l’expérience dans ce domaine, ceci pour faire en sorte que les équipes soient plus performantes dans leur délivrance de valeur aux clients, à travers la réalisation de produits de qualité.
Concrètement, sur le sujet de la rétrospective, en créant un cadre propice, le Scrum Master s’assurera que les points à améliorer soient priorisés par les membres de l’équipe. Puis que des actions d’amélioration soient décidées et qu’un porteur d’action soit nommé pour chacune d’elles. Cette personne ne devra pas porter le sujet toute seule, car elle s’assurera que les bonnes personnes de l’équipe agissent bien pour améliorer/éliminer le point négatif. Créer ce cadre propice comprendra également le suivi de ces actions d’amélioration pendant l’itération. Et si l’équipe n’agit pas alors le Scrum Master sera là pour la questionner sur celles-ci, et l’inciter à être cohérente en terminant ces actions décidées collectivement. Le Scrum Master aura également à cœur de faire en sorte que ce travail d’amélioration continue devienne une routine, un état d’esprit auquel l’équipe adhère en recherchant continuellement à améliorer son fonctionnement, à éliminer les gaspillages pour devenir plus performante collectivement.
Pas besoin d’un Scrum Master ! Vraiment ?
Un Scrum Master est trop souvent vu comme un centre de coût dans une équipe Agile. Quand il n’y a pas assez de budget, c’est le rôle qui saute en premier ! En fait, ça devrait être tout l’inverse dans la réalité ! Il suffit de calculer les coûts cachés liés à une équipe Agile dysfonctionnelle pour se rendre compte, ne serait-ce que sur le plan financier, de l’utilité de ce rôle.
Le problème est que souvent les coûts engendrés par les dysfonctionnements d’une équipe restent cachés. Ils ne sont pas mis en lumière car il sera toujours plus facile, à court terme, de mettre la tête dans le sable comme une autruche, plutôt que d’essayer de s’attaquer aux problèmes et de les résoudre ! Les raisons à cela sont multiples et dépendent des contextes : la « tête dans le guidon opérationnel », la procrastination, le manque de pugnacité ou de courage, …
Et si en plus de cela, on prend en compte les bénéfices que le Scrum Master pourrait apporter à l’équipe en termes de cohésion d’équipe, d’amélioration de la collaboration avec le Client/le Métier, de valeur délivrée au Client, de gain en termes de Time-to-Market, de qualité du Produit, de diffusion de l’état d’esprit Agile dans l’entreprise afin de la rendre plus adaptative et résiliente, etc… Comme le Coach sportif, c’est un « Servant Leader » pour l’équipe et l’organisation !
Alors, la prochaine fois lorsque vous entendrez : « Pas besoin de Scrum Master ! L’Agilité, on connaît déjà ! », s’il vous plaît, posez-vous la question de savoir si c’est bien la vérité dans votre contexte.